C’est l’hiver, le vent du nord me fige le visage et la pluie engloutit les lumières de Paris. Emmitouflée dans mon ciré jaune,
je promène  mon regard sur les étals d’un marché
et je m’arrête sur une ardoise portant l’inscription « nèfles ». Cette découverte plutôt
anodine ranime instantanément un souvenir englouti de mon enfance oubliée
à Casablanca, lorsque je cueillais des nèfles du Japon dans le jardin de ma grand-mère.
Ironie du sort ou pied de nez de mon enfance à ma mémoire, cet arbre fut
abattu quelques années plus tard pour libérer la place. 
J’appris par la suite que ces nèfles trouvées dans ce marché, fruit des pays froids,
n’ont rien à voir avec celles que j’avais connu à Casablanca, délicates et fragiles.
Pourtant, ces deux espèces si proches et si contradictoires, m’avaient rappelé
ce sentiment d’exil intérieur que je vis entre les deux rives de la Méditerranée. 
La Méditerranée des deux rives, scindée par une ligne invisible qui renforce le clivage :
le monde moderne supprime les frontières et l’individualité irrigue des murs ;
nous nous côtoyons, nous nous jugeons, nous nous isolons sans prendre le temps de nous comprendre,
et nous nous fragilisons par de plus en plus de frontières. 
Des frontières qui fendent la représentation mentale de ma propre existence :
Le Maroc m’a enfanté et m’a vu grandir sans vraiment m’accepter, la France m’a
réclamé et m’a offert le coeur d’un des siens. Un chassé-croisé entre deux cultures,
deux territoires, deux continents en miroir, une relation en commun qui laisse sur moi
des traces différentes, méfiance et accalmie, rapprochement et retrait, équilibre et aliénation.